Il y a dix ans, Les Enfants de Don Quichotte ont réussi à mobiliser politiques,
médias et acteurs associatifs autour d’un projet ambitieux : reloger
massivement les personnes sans domicile. Ce mouvement a conduit à la
mise en oeuvre de nombreuses mesures nationales à partir de 2007. Notons
par exemple la création du droit au logement opposable, la reconquête
du contingent préfectoral, et la mise en place d’un guichet unique pour
les demandes d’hébergement (SIAO). L’alternance en 2012 a apporté un
changement de vocable et de nouvelles mesures, mais une continuité sur
l’orientation générale : favoriser l’accès direct au logement des personnes
sans domicile. Le principe du logement d’abord semble ainsi faire l’objet
d’un large consensus politique.
Au cours de ces dix années, le logement d’abord a également été
mis en oeuvre sur le terrain, à travers des dizaines de projets innovants
et expérimentaux. Ces projets apportent la preuve que la majorité des
personnes sans domicile peuvent accéder et se maintenir dans un
logement, à condition de disposer d’un soutien adapté. Cette vague
d’innovations témoigne d’une volonté de changer de logique de la part
des dizaines d’associations, de bailleurs, de collectivités et de services de
l’État.
Cependant, pendant cette même période, la situation des personnes
sans domicile ou sans-abri ne s’est pas véritablement améliorée. En effet,
en 2012, 141 500 personnes étaient sans domicile, et les enquêtes depuis
suggèrent que ce nombre tend à augmenter. Contrairement à sa vocation
initiale, le DALO ne garantit pas un accès au logement pour tous : en 2014,
59 502 ménages restent à reloger, ayant attendu entre 1 à 7 ans pour une
proposition de logement.
À ce stade, l’approche logement d’abord a surtout été mise en oeuvre
dans le cadre de projets innovants et expérimentaux à petite échelle et,
généralement, pour des publics spécifiques. Certes, des mesures ont été
prises visant à essaimer cette approche pour tout public sans domicile fixe.
Cependant, ces mesures peinent à produire des effets probants à grande
échelle.
Nos analyses ont fait ressortir cinq grands obstacles à l’essaimage du
logement d’abord en France :
une offre insuffisante de logements très sociaux : sur le parc social, la part
des logements « très sociaux » reste insuffisante par rapport aux demandes
et, sur le parc privé, le niveau de logements conventionnés très sociaux
disponibles a sensiblement baissé ;
une faible mobilisation des logements très sociaux, que ce soit sur le parc
social, ou le parc privé mobilisé à des fins sociales ;
un dispositif d’accompagnement sous-dimensionné, éclaté entre
financeurs et opérateurs, parfois inadapté (car limité en durée, pas assez
flexible et pluridisciplinaire) ;
une orientation organisée autour de l’escalier d’insertion puisque la
plupart des SIAO organisent l’accès à l’hébergement des ménages,
une faible part d’entre eux étant outillée pour favoriser l’accès direct au
logement. L’organisation autour de l’escalier d’insertion prime également
dans les représentations de certains travailleurs sociaux, pour qui l’accès
au logement est l’aboutissement d’un parcours d’insertion et le fruit d’un
apprentissage ;
un pilotage complexe des politiques d’hébergement et de logement,
qui peine à fixer un cap clair allant dans le sens d’un accès direct à un
logement pérenne pour toutes personnes sans domicile.
Chacune de ces lacunes devrait faire l’objet de mesures ambitieuses si nous
voulons généraliser l’approche logement d’abord.